La Tunisie a vu défiler tant de civilisations. Beaucoup de femmes, parfois controversées mais actives et dévouées, ont marqué l’histoire du pays par leurs courages, leurs déterminations et leurs intelligences.
De Alyssa de Carthage à Al Kahena de Ifriquia, de Al Jazia al Helallia à la princesse des pauvres Aziza Othmana, à Bchira Ben Mrad, la fondatrice de la toute première organisation tunisienne de femmes. Depuis l’indépendance le Code du Statut Personnel n’a jamais été le seul résultat d’une décision verticale du président Bourguiba. C’était également le résultat du mouvement des femmes qui ont participé très activement à la résistance nationale contre la colonisation.
Sachant que pendant les journées chaudes de la Révolution, les femmes tunisiennes sont sorties manifester dans les rues. Elles ont écrits, secouées et gênées avec leurs plumes. Elles ont embarrassées par leurs arts. Elles ont impressionnées par leurs positions courageuses. Elles ont participées activement à toutes les formes d’expressions pendant et après les événements du 14 janvier, des sit-in aux comités de surveillance des quartiers et aux réseaux sociaux.
Les femmes ont été les premières à organiser une marche contre la discrimination régionale et sociale, la pauvreté et la violence le 29 mars 2011. Elles ont dénoncées et se sont opposées farouchement à l’article 28 du premier projet de la Constitution qui a voulu que la femme soit « le partenaire de l’homme » et non son égal. Elles ont vu leurs citoyennetés violées et ont su remettre les choses en place pour qu’aujourd’hui la Tunisie devienne le premier pays arabe à inscrire la parité dans sa Constitution.
A vrai dire, depuis l’indépendance, les femmes politiques tunisiennes n’ont pu se maintenir qu’à un seul ministère, celui de la femme et de la famille. D’autres portefeuilles ministériels leurs ont été accordés non sans mal, elles étaient éjectées au bout de quelques années pour « incompétence ».
Le poste politique de prédilection reste ainsi intimement lié aux stéréotypes définissant la condition féminine, comme si la femme politique tunisienne doit être indéfiniment associée à son espace privé – qu’est le foyer – et se restreindre à sa fonction de procréation et d’éducation. Aussi, force est de constater que le réformisme de Bourguiba, était gangrené par un conservatisme masculin, qui l’empêchait de révolutionner la sphère politique , et de nommer des femmes à des postes politiques imputés aux hommes , comme celui de l’intérieur ou de la défense.
Plus tard, le régime de Ben Ali a maintenu le statut quo. Durant 23 ans, peu de femmes ont été nommées à des postes ministériels habituellement octroyés aux hommes. De toute évidence, le réformisme tunisien a des limites à ne pas dépasser. Le panthéon politique national s’avère être l’expression des archétypes masculins phallocratiques , et une enceinte sacrée à laquelle seuls les hommes ont primordialement accès.
Après la chute du régime de Ben Ali, classe bien-pensante et partis politiques dits « progressistes » ont convenu que la femme tunisienne avait massivement participé à l’effondrement de la dictature. Or, quelques exceptions sont allées au-delà des discours et ont appelé à l’égalité des chances dans un domaine réputé pour sa violence symbolique et sa misogynie. Les politiciens « progressistes » se sont ainsi trahis , et on a découvert que le phallocentrisme masculin n’était pas seulement l’apanage des partis réactionnaires.
Il a fallu attendre le cinquième gouvernement et l’euphorie de l’achèvement de la nouvelle Constitution , pour qu’on « glisse » timidement une femme dans un poste ministériel d’importance.
Cependant, l’égalité homme-femme n’a été officiellement instaurée dans la constitution tunisienne , qu’en 2014 avec l’article 20: «Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune». Le principe de parité ainsi que la protection des acquis de la femme sont inscrits dans la constitution selon l’article 46: «L’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme, les soutient et œuvre à les améliorer.
L’Etat garantit l’égalité des chances entre la femme et l’homme pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. L’Etat œuvre à réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les conseils élus … ». Les articles 21 et 46 qui stipulent la promotion de la représentativité des femmes dans les postes de prise de décisions au sein des structures de l’État , sont également totalement ignorés. De même que l’article 43 qui stipule la représentation des femmes dans les instances constitutionnelles, régionales et municipales.
Bien que la Tunisie fasse partie des pays arabes les plus évolués en matière des droits de la femme, le texte constitutionnel reste loin de la réalité du quotidien. En effet en 2011, seulement 67 femmes ont fait partie de l’Assemblée nationale constituante sur un total de 217 députés.
Et malgré le principe de parité, les femmes représentent 47% des candidats qui se présentent au suffrage universel des législatives 2014, mais 12% seulement de têtes de listes sont des femmes. Résultat à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), on ne compte que 68 femmes parmi les 217 élus, contre 149 hommes, ce qui ne représente malheureusement que 31.3% quoique le principe de la parité homme-femme figure dans la nouvelle Constitution, selon l’article 21 qui stipule:”Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune.”
Et pourtant la réalité est tout autre. En Tunisie, en 2014, alors que les femmes représentaient 36% des membres de l’administration publique, elles ne détenaient que 13% des postes fonctionnels à responsabilité.
Sachant aussi que La Tunisie se classe 69éme en matière d’égalité dans la participation à la vie politique. Elle obtient ainsi, un score de 0,170, ce qui est moins élevé que la moyenne mondiale qui est de 0,230. Elle est classée derrière des pays comme le Liberia (47éme), l’Algérie (55éme) ou encore la Mauritanie (57éme). La participation à la vie politique prend en considération 3 sous-critères: la présence de femmes au parlement, le nombre de femmes ministres et le nombre d’années passé avec une femme à la tête de l’État.
Si avec 68 femmes à l’ARP, la Tunisie obtient bien plus que la moyenne mondiale se classant ainsi à la 34éme place, c’est surtout la présence fugace de femmes à la tête de l’exécutif qui pose problème. En effet, la Tunisie se classe à la 111éme place en matière de femmes ministres obtenant un ratio de 0,12, soit deux fois moins que la moyenne mondiale bien loin du Nicaragua (5éme), du Rwanda (15éme) ou encore de la Moldavie (35éme). Enfin, avec aucune femme à la tête de l’État, la Tunisie obtient un score de 0 comme de nombreux autres pays, notamment l’Algérie et le Maroc.
Plusieurs facteurs, notamment d’ordre culturel et social, sont à l’origine de la faible présence de la femme au sein des partis, syndicats et associations. La présence de la femme dans les partis est souvent exploitée pour simplement redorer l’image du parti. La présence de la femme à la tête des partis politiques, des syndicats et des associations reste faible. Les traditions perpétrées dans la société tunisienne qui considère la politique comme étant l’apanage de l’homme. La femme, selon les coutumes, doit s’occuper des affaires de la famille et des activités agricoles.
Pour s’engager effectivement dans le monde de la politique, la femme tunisienne doit relever le défi de concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Le “cybermilitantisme” offre vraiment aux femmes une nouvelle plateforme pour s’engager dans le dialogue politique et exprimer librement leurs opinions politiques, elles peuvent gérer un blogue ou un site Web à partir de la maison et aux heures qui leur conviennent. Toutefois, ce type de participation à la vie politique est à lui tout seul insuffisant, et a encore tendance à reproduire les formes traditionnelles de discrimination.
Dans un pays qui se targue de son féminisme “avant-gardiste”, la féminisation de la sphère politique est un mythe. Le taux de représentativité de la femme tunisienne en politique reste relativement bas. Cette situation indique que la Tunisie n’évolue pas, mais stagne et a du mal à surpasser le réformisme bourguibien de l’après indépendance. L’après 14 janvier vient confirmer ce constat : trois ans après « la révolution », seules quelques femmes ont pu accéder à des postes ministériels, seulement 3 au dernier remaniement, et la plupart d’entre elles ont été sévèrement critiquées et malmenées par l’opinion publique. Obligation donc de consolider la présence de la femme dans les postes de décision au sein des partis, associations et syndicats, figurent l’encouragement de la femme à investir les milieux politiques, syndicaux et civiques et à se porter candidate aux conseils élus à l’échelle nationale, régionale et locale.
Sachant également que la pauvreté, la discrimination sexuelle et la marginalisation entravent la participation de la femme à la vie politique et civile, pour surmonter les obstacles qui empêchent la femme de participer à la vie politique, il importe de garantir son autonomisation économique encourager l’entrepreneuriat féminin. La promotion de l’autonomisation économique des femmes rurales et de la lutte contre le décrochage scolaire, notamment chez les filles.
La promulgation de lois de lutte contre la discrimination et la violence exercée à l’égard de la femme. par ailleurs, à organiser des ateliers et des sessions de formation afin de développer les capacités des femmes à mieux prendre la parole en public.
Le volet participatif de la femme dans la prise de positions au niveau politique notamment dans les prochaines élections municipales 2016-2017, est à encourager. La gouvernance locale n’est applicable qu’à travers la démocratie participative, et que la femme ne peut être présente dans les premiers rangs qu’en valorisant sa participation dans la prise des décisions au niveau local .
Loin d’être soumise et maniable, la femme tunisienne a le droit de dire son mot et mérite d’être impliquée dans la prise des décisions dans tous les domaines.
En amont, une telle présence se manifeste au niveau de la famille et de la distribution des rôles au sein de cette structure de base de la société. Elle se prolonge également au niveau de l’école et des rôles que cette institution de socialisation transmet et inculque en façonnant les attitudes, les représentations et les comportements.
En aval, l’intervention des femmes s’effectue au niveau des partis politiques qui constituent un champ d’exercice de la citoyenneté et du pouvoir politique. L’espace intermédiaire entre la famille et les partis politiques est composé des structures politiques représentatives, des médias et des associations. Par structures politiques représentatives, j’entends les conseils municipaux, régionaux et ruraux, ainsi que les comités de quartier, les fédérations syndicales sectorielles, les syndics des résidences d’habitat collectif, etc.
Les médias réfèrent aux canaux d’information et de communication intégrant aussi bien les journaux que la radio, la télévision, l’Internet…, canaux qui servent de lien entre les individus. Les associations, agissant dans les multiples champs (social, sportif, économique, culturel, environnemental…) contribuent à l’œuvre du développement par les multiples actions bénévoles ou lucratives qui sont conformes à leurs statuts et vocations. Une telle stratégie visant une meilleure participation politique des femmes gagnerait à tenir compte de l’articulation entre le local et le global.
En milieu rural, je constate la même sous-représentativité féminine dans les conseils ruraux et dans les structures politiques d’une façon générale, même si l’exode des hommes dans les villes, ainsi que l’amélioration du niveau de scolarité et des conditions de vie sont de nature à inciter à une plus grande participation des femmes. Il est recommandé, à cet effet, que les différents acteurs politiques participent à impulser une dynamique favorisant la présence des femmes dans ces différentes structures de représentation politique qui constituent, à vrai dire, une véritable « école de la citoyenneté ».
Pour renforcer le leadership féminin, il importe d’instaurer une politique de quotas dans les instances de décision et au niveau des listes électorales, en vue d’une plus grande présence politique féminine. Parmi les moyens de promotion des femmes au niveau des partis politiques et des associations ainsi que des syndicats, la lutte contre la violence verbale s’impose du fait qu’elle a pour objectif l’exclusion des femmes. La mise en place d’une institution chargée de la promotion du leadership politique féminin, sur le modèle d’une « Académie politique » est à même d’assurer une formation adéquate aux femmes cadres des partis politiques et des associations.
Enfin, pour les femmes cadres politiques, régionaux et nationaux, une ouverture sur le monde, par les médias – notamment par l’accès gratuit à l’Internet et au Wifi -, les jumelages des villes, les voyages, les échanges et la participation aux séminaires internationaux est à encourager par les autorités et à consolider par les citoyens et les citoyennes.
Je constate également avec soulagement depuis quelques années, un « mouvement positif » voire même un réveil international au profit de la femme au pouvoir, ainsi sur 18 femmes qui président ou gouvernent actuellement dans le monde, en qualité de Premier ministre ou chef de gouvernement de pays, 13 ont été élues depuis 2009, 9 depuis 2010, et 5 en 2011. Auxquelles s’ajoutent 3 gouverneures générales (Antigua, Australie, Sainte-Lucie) et 22 vice-Premiers ministres en activité, toutes fraîchement élues (seules trois d’entre elles étaient en poste en 2008 ). C’est un fait 45/135 pays ont une femme à un poste de commande politique.
Si on ne compte pas évidemment, les reines chefs d’Etat, qu’elles soient des Pays-Bas, du Danemark ou du Royaume-Uni. Au Rwanda, les femmes occupent une part sans précédent de 63,8 % des sièges au parlement (chambre basse), lequel est donc le seul au monde à majorité féminine. Il est suivi par le parlement d’Andorre, où les femmes occupent 50 % des sièges.
Parallèlement, au niveau des instances internationales, les initiatives se multiplient pour cogiter sur la place, l’avenir et les conditions de vie des femmes. Devenue directrice exécutive d’ONU Women, l’entité créée en juillet 2010 pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, Michelle Bachelet, l’ex-présidente du Chili, va de capitale en capitale pour convaincre et mobiliser les politiques, son leitmotiv : « L’égalité doit devenir une réalité ».
Des institutions inclusives et démocratiques nécessitent la participation des femmes. Après tout, elles représentent la moitié de l’humanité. L’implication des femmes dans la vie politique est indispensable, mais cela ne suffira pas pour transformer notre société. Il nous faut des femmes leaders dans tous les secteurs de la société afin qu’elles soient mieux à même de contribuer aux décisions qui ont un impact sur leur vie, leur famille, leur communauté et leur pays.
Au final l’objectif majeur dans l’avenir est celui d’améliorer la capacité des femmes à participer effectivement aux affaires politique en qualité d’électrices et de candidates et à former des jeunes formateurs en leadership. Le but étant d’aboutir à une égalité totale entre la femme et l’homme, d’instaurer l’esprit de parité horizontale et verticale entre eux dans tous les domaines, ceci dans le cadre d’une démocratie participative intégrant le citoyen dans les processus de décision à tous les niveaux.
L’idéal serait d’atteindre un taux minimum de 30% de présence des femmes aux postes de décisions et de responsabilités locale et nationale, ceci avant l’année 2030. Avec surtout pour les femmes au moins 30% de postes ministériels, 50 % des sièges au Parlement, et 40% de femmes dans les directions des grandes entreprises.
J’avoue que le chemin vers l’égalité est encore long mais les femmes tunisiennes, pleines d’espoir, continueront à se battre pour atteindre cette parité homme-femme. Je considère donc qu’avec ce combat démocratique que nous menons tous et à tous les niveaux pour la naissance d’une 2éme République, le 21éme siècle sera celui des femmes au pouvoir suprême en Tunisie, et au passage comme au présent 94% des Français sont prêts à élire une femme présidente de la République, pourquoi pas du pareil chez nous, sous condition d’une évolution radieuse attendue des mentalités dans l’avenir, et que dans une décennie on aura une femme Présidente de la République.
Margaret Thatcher disait « En politique, si vous voulez des discours, demandez un homme. Si vous voulez des actes, demandez une femme ».