Jamel Saber

Supprimer le droit de vote à l’étranger

 

Les élections à l’étranger, sont hors de tout contrôle de l’ISIE et à tous les niveaux, donc faussées.

La diaspora tunisienne représente environ 12 % de la population totale soit 1,5 million de “Tunisiens résidant à l’étranger” (TRE), ceci dans 44 pays répartis sur 5 continents. La moitié d’entre eux sont en France, mais sur environ 800.000 électeurs tunisiens potentiels vivant à l’étranger, près de la moitié ne sont pas encore inscrits sur les listes électorales !

Les TRE sont représentés en Tunisie par 18 députés sur 217 que compte l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) du Bardo, soit 8,8 % des sièges au parlement. Pour procéder au vote des TRE, 308 centres de votes sont crées par « l’Instance Supérieure Indépendante pour les élections » (Isie), parmi lesquels des lieux hors du système consulaire : écoles, sièges d’associations, centres, municipalités et autres. Sachant qu’en Australie on ne compte que 203 électeurs tunisiens inscrits, et que le dernier bureau à fermer ses portes est à San Francisco (USA).

Le droit de vote et d’éligibilité est, à n’en pas en douter, l’un des fondements de la citoyenneté d’un État démocratique. L’article 34 de la constitution 2014 en fait mention. Mais le vote à l’étranger, phénomène politique et électoral en pleine croissance, présente des risques et des défis qui pourraient considérablement influencer la politique intérieure d’un pays. Cela ne veut pas dire que le vote à l’étranger ne devrait jamais être considéré, mais plutôt qu’il convient d’en saisir la complexité et les risques avant d’accorder le droit de vote à la diaspora. D’autant plus en Tunisie, pays engagé depuis 2011 dans un processus fragile de transition démocratique délicate.

Sachant que les complexités et risques du vote extra territorial des TRE, sont les suivantes ( liste non exhaustive ) :

– La transgression de la loi électorale en conférant la procédure d’inscription des électeurs TRE aux missions diplomatiques et consulaires et non pas à l’Isie via les « instances régionales indépendantes des élections » (Iries), les seules garantes, selon eux, de la transparence et de l’indépendance de ce processus.

-L’absence de toute communication directe entre l’Isie et les Tunisiens à l’étranger afin d’encourager leurs participations aux élections. D’où le faible nombre des inscriptions à cause de l’absence d’information, la difficulté d’utiliser la “plateforme d’inscription en ligne”, le nombre important des documents à fournir, les bugs répétitifs et notamment le faible nombre de personnes qui supervisent l’opération d’inscription.

– Soulignant qu’une surestimation de la population en âge de voter à l’étranger, aboutit à un déséquilibre dans le nombre de votants par siège, les députés de l’étranger étant élus qu’avec un nombre de voix relativement plus faible, engendrant une légitimité plus fragile de ces derniers à l’ARP, en comparaison avec les députés locaux. L’élection de Yassine Ayari député sur l’Allemagne est un cas d’école, avec seulement 263 voies !

– Les opérations de vote à l’étranger sont généralement beaucoup plus coûteuses que le vote sur le territoire. L’expérience internationale indique qu’un vote mené à l’échelle nationale coûte typiquement entre 1 et 2 $US par électeur inscrit. Les opérations de vote à l’étranger coûtent souvent au moins 5 à 10 fois plus, un coût donc prohibitif, mais ce n’est pas le plus important. Pour les élections 2019 en Tunisie, le coût global est de 140 millions dinars (au niveau local et à l’étranger) !

– Les opérations de vote à l’étranger sont beaucoup plus exposées à la fraude réelle et à la perception de fraude que le vote sur le territoire, car le personnel d’administration de l’élection (Iries) est en général absent, et il est peu probable que le processus de vote à l’étranger soit supervisé par des observateurs indépendants ou des agents des partis politiques. Le percept selon lequel le vote à l’étranger est une « boîte noire » s’accompagne du risque que les perceptions de fraude par le vote de la diaspora, justifiées ou non, ébranlent sérieusement l’intégrité et l’acceptabilité du processus électoral général.

– Donc pas de mainmise totale et intégrale des Iries sur les dépenses et autres lors de la campagne électorale, et surtout peu de contrôle fiable du financement des partis politiques et indépendants, sur leurs comptes bancaires ou postaux des candidats.

– Et pour cause à l’heure actuelle, aucune norme n’oblige les pays d’accueil à faciliter l’organisation d’élections. La « Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille » stipule qu’ils ont le droit de voter et d’être élus au cours d’élections organisées par leur État d’origine, mais elle n’a été ratifiée par aucun des principaux pays receveurs de migrants. Mais dans les faits, des coopérations sont mises en place, dans le cadre d’accords diplomatiques ou simplement sur base de bonne volonté.

– D’autres États affirment que les expatriés ne participent pas à la « vie nationale » au même titre que les résidents dans la mesure où ils ne font pas leur service militaire, ne s’acquittent pas des impôts sur les personnes physiques et n’effectuent pas de séjours réguliers sur le territoire national.

– En plus le nombre de votants est insignifiant que 94.346 pour le 2ème tour de la présidentielle de 2019, donc ce n’est rien qu’un taux de 11,8 % par rapport aux 800.000 électeurs potentiel TRE, bref “Tout çà pour çà”. Cet effondrement du nombre de votants à l’étranger est entre autres dû au manque d’intérêt pour la politique du pays d’origine, qui n’est pas propre aux Tunisiens mais c’est universel.

– Et surtout que les votants sont oubliés par leurs élus aussitôt les urnes refermées, absents depuis. Ces derniers ne réapparaissent qu’à la prochaine échéance électorale pour renouveler leur mandat. Quoique c’est aussi d’usage pour nos députés locaux mais dans une moindre mesure.

Sachant que pour le « Conseil de l’Europe » l’article 3 du protocole 1 de la CEDH « n’impose pas de garantir le droit de vote aux élections législatives pour les électeurs expatriés. C’est ainsi que suite à la résolution n° 1459 de 2005, l’on recense 13 pays en 2010 dans lesquels aucune disposition juridique n’a été prise pour organiser le vote de leurs ressortissants établis à l’étranger. Il s’agit des pays suivants : Albanie, Andorre, Arménie, Chili, Chypre, Grèce, Irlande, Israël, Malte, Maroc, Monténégro, Saint-Marin, Turquie. 10 sont des Etats membres du Conseil de l’Europe (à suivre qu’en est-il à ce jour à ce sujet).

Et qu’en Afrique près de 41 pays sur 54 ont accordé le droit de vote aux ressortissants de leurs pays vivant à l’étranger et seulement la moitié (26) l’ont mis effectivement en pratique différemment selon la mosaïque des élections : présidentielle, parlementaires, référendum et locales (Jaulin et Smith, 2015).

Comme le vote électronique présente à ce jour des risques élevés de fraudes, le système n’est pas encore totalement au point, sans compter le problème de la disponibilité des équipements et surtout leurs coûts très élevés, mais aussi celui qui fera la centralisation locale des votes émis et le contrôle, et avec quel degré de sécurité, transparence et fiabilité.

Mais surtout que les 18 députés élus sur l’étranger par les TRE, figurent pour la plus part d’entre eux selon les statistiques établies par “Marsad Majles” ( L’observatoire de l’Assemblée des représentants du peuple), ceci pour leurs absences répétées aux travaux parlementaires de l’ARP, en rapport avec leurs défauts de présences : en plénière, commissions permanentes, commissions spéciales, ceci dans l’impunité totale.

Loin de moi l’idée de traiter les TRE en tant que citoyens de « seconde zone », mais  sûrement de « Plein Droit ». D’autant plus que je faisais partie de la diaspora de 1976 à 81, et que mes enfants le sont actuellement. Sans oublier l’essentiel que les TRE amoureux de leur patrie participent activement et en continue au développement du pays, avec des transferts en devises estimés à 4 milliards de dinars tunisiens par an.

Au final et pour toutes ces raisons complexes, ambiguës et surtout insurmontables, car l’Isie est impuissante pour relever ces défis à l’étranger, de l’aveu même de Nabil Baffoun président de l’Isie qui confirme son incapacité à les maîtriser parfaitement, et qui feront l’objet des recommandations de l’ISIE dans le rapport en préparation destiné aux 3 Présidents à ce sujet, ceci pour optimiser les conditions des élections à venir pour les TRE mais pas que .

Bref comme les élections à l’étranger sont hors de tout contrôle de l’Isie et à tous les niveaux, je propose donc que dorénavant faut “priver partiellement” les TRE de leurs droits civiques , en supprimant le vote extraterritorial, ceci après révision de la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative aux élections et référendums .

Ça va de soit c’est que provisoirement, ceci dans l’attente d’autres alternatives, et conditions plus fiables dans l’avenir qui permettent d’atteindre le même objectif, celui primordial de la participation active des TRE à la prise de décisions par leurs gouvernants tunisiens locaux, et surtout pour faire parvenir leurs doléances et recommandations à part égale, comme les territoriaux. Donc ce n’est que partie remise.

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