Finance islamique : « escroquerie » au nom de la Charia ?

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Le terme finance islamique recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformes aux principes de la “Chari’a”, qui supposent l’interdiction : de l’intérêt, de l’incertitude, de la spéculation, et celui d’investir dans des secteurs considérés comme illicites (alcool, tabac, paris sur les jeux, et autres secteurs d’investissements prohibés.), ainsi que le respect du principe de partage des pertes et des profits.

Les deux principaux outils de la finance islamique : la « Murabaha » et les « Sukuks ». La murabaha est un contrat de vente aux termes duquel un vendeur vend un actif à un financier islamique qui le revend à un investisseur moyennant un prix payable à terme (vente à tempérament). Les sukuks et les produits financiers assimilés sont des titres représentant pour leur titulaire un titre de créances ou un prêt dont la rémunération et le capital sont indexés sur la performance d’un ou plusieurs actifs par l’émetteur. Ces actifs sont affectés au paiement de la rémunération et au remboursement des sukuk ou des produits assimilés. Sans oublier les autres produits financiers dont la “Moudaraba”, “Mousharaka”, le “Salam” et “L’ijara”.

La supervision des investissements est institutionnel ou organisationnel puisque les banques et les fonds d’investissements islamiques sont composés, outre d’un conseil d’administration et d’une assemblée générale, d’un comité de supervision ou d’éthique (« Sharia Board ») dont les membres sont indépendants. Ainsi, les participations dans les sociétés évoluant dans les domaines illicites encourent une réprobation de ces comités.

Pour les actifs des 500 plus grandes banques islamiques la croissance du secteur qui était depuis 2000 de 10 à 15 %, connait un ralentissement à partir de 2016, l’industrie a atteint une masse critique en 2015, avec un actif total dépassant 2 trillions de dollars US. Selon le dernier rapport annuel de « l’Islamic Finance News », l’industrie fait face aujourd’hui à trois défis majeurs : la baisse des prix du pétrole, les changements rapides de la régulation financière mondiale et la fragmentation du marché. sachant que le poids global de la finance islamique ne dépasse guère le 1 % de la finance mondiale. Ce secteur est donc encore marginal mais pourrait représenter quand même 4 trillions de dollars US d’ici cinq ans.

En Tunisie la nouvelle loi bancaire n° 2016-48 a été promulguée le 11 juillet 2016 comporte des dispositions spécifique à la finance islamique. Elle abandonne le principe de spécialisation: toutes les banques qui le souhaitent pourront distribuer des produits de finance islamique après présentation d’une demande et obtention de l’autorisation de la “Banque centrale de Tunisie” (BCT), conformément aux dispositions de l’article 22 de la nouvelle loi. Outre l’activité de banque islamique, le cadre légal et réglementaire de la finance islamique en Tunisie comporte des textes spécifiques pour les “Fonds d’investissements islamiques” et pour “l’Assurance Takaful”.

La Tunisie compte en janvier 2017, 3 banques islamiques accaparant 7% du marché bancaire tunisien. Il s’agit d’Al Baraka ( ex-Best Bank ) crée depuis les années 70, Zitouna en 2010 et El Wifack International Bank en 2015 alors que les produits bancaires islamiques ne représentent que 5% des actifs bancaires en Tunisie à fin 2015 et présentent un potentiel de croissance important, avec une évolution qui a atteint une moyenne annuelle de 23%, durant la période 2010-2015.

Selon le Rapport annuel sur la supervision bancaire 2015, que vient de publier la BCT, le total des dépôts dans ces banques s’est élevé, à fin décembre 2015, à 2,501 milliards de dinars, alors que le total des crédits s’est situé au niveau de 1,930 milliard de dinars, fin 2015. Par ailleurs, le total des actifs des banques islamiques lesquelles comptent un effectif de 1.213 personnes et un réseau de 107 agences, s’est élevé à 4 milliards de dinars en 2015.
Mais bien qu’un grand nombre de savants musulmans ait légiféré en rendant licites les activités bancaires islamiques, certaines voix de la communauté musulmane s’y opposent. Il y a parmi ces dernières de grands oulémas reconnus tels que “Al-Albani” ou “Imran Hosein”. En langue française, l’essayiste “Souaréba Diaby Gassama” a développé dans La finance islamique dévoilée un argumentaire réfutant tout caractère islamique à la finance islamique.

Suite aux travaux réalisés dans le cadre de la formation organisée par ATTAC Maroc par Salaheddine Lemaizi , Majdouline Benkhraba (1), une argumentation est faite en 2 temps après une introduction sur ce que prétendent faire les banques islamiques et une définition de l’usure. Premièrement, l’auteur expose brièvement le fonctionnement des banques islamiques qui empruntent auprès de la banque centrale : d’où il sort qu’elles doivent verser un intérêt, ce qui vient en contradiction du principe en Islam de prohibition de toute usure. Il y a certes des banques qui ne se financent (ou se financeraient) qu’à travers les dépôts de leurs clients. Mais pour celles-ci, il subsiste toujours un problème de taille que l’auteur traite dans le deuxième point. Car l’auteur parle ensuite du produit phare de la finance islamique : la mourabaha. L’auteur prouve q’elle n’est rien d’autre qu’un crédit déguisé d’ailleurs plus coûteux qu’un crédit conventionnel. Ainsi conclut-il : il ne peut et il ne pourra jamais y avoir de finance islamique.

Les principales critiques adressées à la finance islamique. D’abord sur le fond pour son mimétisme, « La finance islamique est l’islamisation des moyens et pas l’islamisation des finalités […]Les institutions de la finance islamique confortent le système économique néolibéral », écrit Tariq Ramadan d’ailleurs, « les pays apparemment islamiques dans les lois (exemple Arabie Saoudite) sont les plus intégrés dans le système néolibéral fondé sur la spéculation et noyé sur les transactions avec intérêts. Pour “Patrick Allard” et “Djilali Benchabane”, la finance islamique est « loin d’être un modèle alternatif à la finance traditionnelle car la finance islamique entretient avec un rapport mimétique ». Ainsi, la finance islamique ne s’affranchit pas des méthodes de valorisation de la finance conventionnelle. Pour sa part l’économiste “Najib Akesbi” considère que « la finance islamique facture la religiosité de ses clients ». Les services de ce secteur coûtent plus cher que la banque « classique ». Ensuite sur la forme en rapport avec la spéculation, l’intérêt, les produits dérivés, Les « Charia board », et les crédits déguisés.

Basée essentiellement sur les différents travaux du Comité de Bâle pour le contrôle interne efficace des banques islamiques, cet essai présenté par Abdenbi Hord (2) a évoqué plusieurs failles et surtout types de risques liés à cette activité bancaire. Nous nous arrêterons sur les risques : du capital, de crédit, de marché, opérationnel et celui de liquidité. La majorité des chercheurs s’accordent à identifier la défaillance des systèmes de contrôles internes comme étant à l’origine des soucis d’instabilité majeure et des crises financières.

L’importance du contrôle interne dans le système financier islamique est d’autant plus accentuée par la nature participative qui caractérise ce système. Ajouter à cela le peu de familiarité des opérateurs conventionnels avec ses produits et la nécessité de la conformité des instruments financiers à la Chari’a. D’où le rôle crucial que le contrôle interne est appelé à jouer dans les institutions financières islamiques afin de garantir leur viabilité et leur performance.

Sans oublier au passage le cadre international global de contrôle bancaire dans le traitement spécifique de la réglementation et du contrôle des banques islamiques. On estime souvent que les institutions islamiques ne font pas de séparation claire entre les opérations d’investissement et les opérations commerciales. De ce point de vue, elles doivent être soumises aux mêmes réglementations et contrôle que les fonds d’investissement. Une telle assimilation peut poser des difficultés d’ordre technique pour la mise en place d’une réglementation et un contrôle efficace. Auquel s’ajoute les difficultés et le flou juridique de l’applicabilité des normes réglementaires internationales au système bancaire islamique. Bref une carence chronique des institutions financières islamiques aux normes de réglementation et de contrôle, est établis par le comité de Bâle.

Autres soucis majeurs sont la compatibilité des normes comptables internationales et organes de supervision des banques islamiques. Sachant que les états financiers présentés par les institutions, les bilans comptables, les comptes d’exploitation, les états de synthèses financiers, et d’autres états sont indispensables pour donner image sur la santé financière. La fiabilité de ces états est d’une importance capitale pour les actionnaires de ces institutions, les clients, pour les différents partenaires mais aussi pour les autorités de réglementation et de contrôle. D’où l’utilité d’une standardisation des normes comptables afin de faciliter l’utilisation de ces états et de permettre au marché de fonctionner de manière transparente et efficace. A cet égard, les normes établies par le comité des normes comptables internationales (CNCI) sont appliquées par la grande majorité des institutions financières à l’échelle mondiale.

Les normes islamiques comptables se basent principalement sur les normes comptables internationales (NCI). L’organisation de comptabilité et d’audit pour les institutions financières islamiques (OCAIFI) a joué un rôle considérable pour adapter les normes comptables internationales et les rendre applicables aux institutions financières islamiques. Mais à ce jour beaucoup reste à faire voire des imperfections subsistent encore.

La promesse de départ d’une finance islamique présentant une alternative à la finance « classique » n’est pas tenue. Ce segment se contente d’un vernis éthique et de montage financiers et juridiques pour attirer une clientèle en quête de produits en conformité superficielle avec leurs convictions ( Halal ). Les limites de la finance islamique questionnent la capacité du mouvement islamiste en général à développer des alternatives économiques crédibles. À la lumière des politiques poursuivies par les gouvernements islamistes en Tunisie, au Maroc et en Egypte, il s’avère que ce courant n’a pas d’alternatives sur le plan économique et social. Ces gouvernements se contentent d’appliquer à la lettre les recommandations du FMI. Dans le cas de la finance, ils comptent sur des banques comme HSBC pour pratiquer une finance « éthique ». Un pari perdu d’avance.

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