Tunisie : À quand le « Centre National de Renseignements » gelé depuis 2017 ?

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En mars 2011 dissolution de la « Police politique » de B.Ali par Farhat Rajhi

Il serait nécessaire de rappeler que la Tunisie depuis son indépendance, n’a pas une tradition du renseignement au contraire de sa voisine, l’Algérie, ou des pays arabes du Moyen-Orient comme la Syrie des Assad, l’Irak de Saddam Hussein ou bien sur l’Egypte. Il s’agit essentiellement d’un service interne au Ministère de l’Intérieur. L’armée disposait, à travers une direction de la Sécurité militaire, de moyens de renseignement assez limités.

L’activité du renseignement tunisien durant l’ère Ben Ali (ex-Président de la République), s’est concentrée sur la menace islamiste, et sur l’activité de quelques autres groupes politiques implantés en Tunisie, ou bien agissant depuis des pays limitrophes, à travers les réseaux de la communauté tunisienne. Le niveau des menaces était relativement faible et l’état d’organisation des différents réseaux assez rudimentaire. La menace terroriste n’est certes pas nouvelle en Tunisie, l‘attentat de Djerba le 11 avril 2002 le rappelle tragiquement.

« L’amnistie générale » du 20 janvier 2011, a libérée à tord tous les 31.000 incarcérés sous B.Ali, dont 30 terroristes condamnés à mort ou perpétuité

Mais la première grande défaillance dans le renseignement, et l’anticipation d’une menace majeure, a été d’abord le « coup de semonce » sous B.Ali de « l’opération de Soliman » (23 décembre 2006 – 3 janvier 2007), qui a opposé un groupe de salafistes armés aux forces de l’ordre et à l’armée tunisienne. Cette opération marque le début de l’enracinement de maquis djihadistes aux activités sporadiques, et entérine le modus operandi des groupes djihadistes en Tunisie.

À savoir aussi que le jour d’après la « révolution » du 14 janvier 2011, commence une phase marquée par un processus de démantèlement de 42 cadres sécuritaires, par Farhat Rajhi (ex-ministre de l’Intérieur), de ce que d’aucuns appelaient « la police politique ». Et qui en réalité, s’est soldée par la quasi disparition d’un pan entier du service de Sûreté de l’Etat qui faisait office de service de renseignement au sein du Ministère de l’Intérieur. Le 7 mars 2011 disparaissait par préméditation, la « Direction de Sûreté de l’Etat », et avec elle une partie non négligeable de la connaissance des groupes radicaux.

« L’amnistie générale » de 2011, était un crime impardonnable contre la Nation

Ce démantèlement dans la confusion générale, combiné à tord avec un large décret-loi « d’Amnistie Générale » du 20 janvier 2011, qui était mal préparé – à l’extrême je considère que c’était un « Crime contre la Nation »- proposé par Mohamed Ghannouchi (ex-Premier ministre par intérim) et signé par Fouad Mbazaa (ex-Président de République par intérim). Aboutissant à la libération totale des 31.000 prisonniers incarcérés sous B.Ali, surtout malheureusement des personnes appartenant à des réseaux islamistes radicaux (30 terroristes qui portaient des armes condamnés à mort ou à perpétuité), et 800 prisonniers politiques (frères musulmans surtout). Ces « actions pseudos-révolutionnaires » achèvent de mettre à terre le système de renseignement antérieur, et produit un affaissement total du système sécuritaire en Tunisie.

Suite à quoi l’attaque sanglante de Rouhia le 18 mai 2011, aurait ainsi été organisée par des anciens éléments de l’opération de Soliman, libérés à tort, en vertu de la loi d’amnistie générale de 2011. Il en est de même des affrontements à Bir Ali Ben Khalifa, le 2 février 2011.

Sous gouvernance de la « Troïka » 2012-2013, avec A.Larayedh au Ministère de l’Intérieur, le terrorisme a atteint son apogée

Depuis cette date, la Sécurité Nationale de la Tunisie, était ébranlée, surtout le comble pour « enfoncer le clou », après l’arrivée catastrophique de la « Troïka » au pouvoir, sous domination des « frères musulmans d’Ennahdha », avec Hamadi Jebali (ex-Chef de gouvernement), et de Ali Larayedh au Ministre de l’Intérieur, du 24 décembre 2011 au 13 mars 2013. On mesure aujourd’hui les incidences criminelles de l’après 14 janvier 2011 :  Assassinats politiques des martyrs Belaied et Brahmi (fevrier et juillet 2013), attaque terroriste de l’Ambassade américaine par des salafistes (sept 2012), une quasi-guérilla dans les Monts Chaambi, Salloum et Ouergha, attaques terroristes contre les forces de sécurité intérieure, et contre les membres des forces armées, attaques terroristes du Musée du Bardo (mars 2015) et du complexe hôtelier de Sousse (juin 2015).

Ce démantèlement du système de renseignement entre 2011 et 2012, et l’amnistie générale, ont eu aussi ( surtout sous la gouvernance de la « Troïka ») pour conséquences directes, la perte de contrôle et de suivi d’éléments radicaux, mais surtout l’enracinement d’une pratique d’enrôlement de tunisiens dans divers réseaux djihadistes en Tunisie, et dans les zones de conflits ouverts. Selon le ministère de l’Intérieur, environ 6.000 tunisiens, dont 700 femmes, combattent dans les rangs des réseaux djihadistes en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen et dans le nord du Mali.

Sous la « Troïka », enrôlement de 6.000 tunisiens dans divers réseaux djihadistes en Tunisie, et dans les zones de conflits ouverts

Sachant que l’année 2013 constitue un tournant qualitatif dans le rythme et l’ampleur des opérations terroristes, et va prouver l’inadaptation du système sécuritaire à la menace et au type d’affrontements qu’impose le terrorisme djihadiste. L’incapacité d’anticipation, la faiblesse des moyens de renseignement, l’incapacité à infiltrer les groupes et les réseaux constituent les carences majeures. La cartographie de l’espace des opérations dans le centre ouest du pays, avec le Mont Chaambi comme épicentre, se précise tandis qu’émerge un projet de loi antiterroriste dont la pierre angulaire serait le renseignement.

C’est alors, en novembre 2014, que la Tunisie se dote, pour la première fois de son histoire, d’une « Agence des renseignements et de la sécurité pour la défense », par le décret n° 2014-4208 du 20 novembre 2014. Il s’agit d’un établissement public à caractère administratif, sous tutelle du Ministère de la Défense. Outre ses attributions héritées de la Direction de la Sécurité Militaire, la nouvelle agence reçoit pour mission : « la contribution à la prévention et à la lutte anti-terroriste ».

novembre 2014, création d’une « Agence des renseignements et de la sécurité pour la défense »

Arrive ensuite la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent, telle que modifiée et complétée par la loi organique n° 2019-9 du 23 janvier 2019, loi pour combattre le terrorisme et d’interdiction du blanchiment des capitaux. L’association dans la loi du terrorisme et des pratiques de blanchiment de capitaux entend fournir une réponse globale à la menace terroriste dans un texte qui ne compte pas moins de 139 articles, et qui construit un système sécuritaire et judiciaire sui generis, d’une ampleur sans pareille dans le monde arabe.

Cette nouvelle loi crée un « Pôle anti-terroriste » près du Tribunal d’instance de Tunis, lequel Tribunal se voit attribuer un monopole de compétence en matière de terrorisme en excluant les autres juridictions civiles et militaires. Ce dispositif s’inspire largement de ceux mis en place en Europe et notamment en France. A côté d’un parquet antiterroriste, la loi crée une « Commission Nationale de lutte contre le terrorisme », suivant le décret gouvernemental n° 2015-1777 du 25 novembre 2015, qui sera modifié et complété par le décret gouvernemental n°2019-524 du 17 juin 2019.

loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent

Cette commission sous l’autorité directe du Chef de Gouvernement qui assure le Secrétariat permanent, composée de représentants des différents ministères. Cette commission a trois missions principales : le suivi des conventions internationales en matière de terrorisme et la mise en conformité des lois tunisiennes avec celles-ci ; la coordination interministérielle et inter agence en matière de la lutte anti-terroriste ; l’évaluation de la politique nationale en matière antiterroriste via la restitution d’un rapport aux trois présidences. En outre, la commission est consultée préalablement à toute modification du cadre légal de la lutte contre le terrorisme.

Suite à quoi, sous impulsion et dans le cadre de partenariat depuis 2014 avec l’OTAN, un « Centre National des Renseignements », placé sous la présidence du Chef du gouvernement, créé par le décret gouvernemental n° 2017-71 du 19 janvier 2017. Le centre assure la mission de coordination entre les divers organes de renseignement nationaux (civil et militaire).

En janv 2017 sous impulsion et dans le cadre de partenariat depuis 2014 avec « l’OTAN », un « Centre National dE Renseignements », placé sous la présidence du Chef du gouvernement

Ce centre a pour mission d’effectuer des analyses ponctuelles et périodiques, de procéder à l’évaluation des dangers et menaces, et d’élaborer des fiches de renseignement à remettre au Chef du gouvernement et au Président du « Conseil de la sécurité nationale ». Le centre fixe les choix stratégiques et les priorités en matière de renseignement et les soumet au Conseil de sécurité nationale. Il élabore le plan national de renseignement et assure le suivi de son exécution.

De plus, le Centre conçoit les visions relatives au développement du système de renseignement national, et définit les besoins des appareils de renseignement en ressources humaines et techniques. Il fixe les mécanismes de coordination avec les structures administratives chargées du suivi des cybercrimes, et met en place la stratégie de communication technique relative au renseignement.

Également en janv 2017, création du « Conseil de Sécurité Nationale », placé sous la présidence du Président de la République

Egalement la même année 2017, sur proposition du ministre directeur du cabinet présidentiel, un « Conseil de Sécurité Nationale » est créé par le décret gouvernemental n° 2017-70 du 19 janvier 2017, et placé sous la présidence du Président de la République. Le Conseil est composé du Chef du gouvernement, du Président du parlement, des ministres de la Justice, la Défense, la Sécurité, les Affaires étrangères, les finances et du président du « Centre National de Renseignement ».

La diminution des violences jihadistes sur le territoire tunisien entre 2016 et 2021est manifeste, mais elles continuent de secouer ponctuellement l’Ouest du pays. Elle est principalement liée à la déroute d’al-Qaeda et de l’Etat islamique à l’échelle régionale. Même si plusieurs milliers de Tunisiens sont partis combattre au Moyen-Orient et en Libye entre 2011 et 2016, et que des Tunisiens ont commis quatre attentats en France et en Allemagne en 2016 et 2021. Heureusement en principe au présent, la Tunisie n’est pas menacée par un mouvement jihadiste armé de masse.

La diminution des violences jihadistes sur le territoire tunisien entre 2016-2021 est manifeste, mais elles continuent de secouer ponctuellement l’Ouest du pays

Mais faits inquiétants quand même pour la Sécurité nationale, suite au rapport de « l’inspection Générale pour la Ministre de la justice » de février 2021, sur l’ex « Procureur de la République au Tribunal de 1ere Instance de Tunis », Bechir Akremi (BA) et ses crimes terroristes. Il est accusé d’avoir gelé 6.268 dossiers de terrorisme, et donc d’avoir protégé depuis 2016, plus de 20.000 terroristes en liberté parmi nous en villes ou dans les montagnes, en toutes impunités à ce jour. A part d’autres délits graves mentionnés, même à partir de 2013 quand BA occupait le poste de juge d’instruction, du bureau numéro 13, chargé de l’affaire des martyrs de la Nation Belaïd et Brahmi.

Sans oublier, que près de 800 tunisiens terroristes, étaient de retour au pays à ce jour, après avoir combattu en Syrie, Irak, Afghanistan, Yémen, Somalie, Libye et dans la bande sahélienne. Une menace qui vient s’ajouter aux différentes inconnues de l’équation sécuritaire dans le pays.

Faits inquiétants 20.000 terroristes ignorés par Bechir Akrmi de 2016 à ce jour, sont parmi nous en libertés

De fait, très peu de jihadistes aguerris sont actuellement incarcérés sur le sol tunisien. Sur environ 2 .200 personnes emprisonnées en vertu de la loi anti-terroriste de 2015, on compte seulement une dizaine de combattants tunisiens étrangers, considérés comme très dangereux par les services de renseignement de différents pays et extradés vers la Tunisie. Ainsi que 160 individus condamnés pour avoir commis des violences jihadistes sur le territoire tunisien, notamment pour avoir participé à l’attaque de Ben Guerdane.

Les conditions de détention et l’absence d’aide à la réinsertion pour les individus condamnés pour terrorisme accroissent le risque de récidive. Environ 1.700 tunisiens emprisonnés en vertu de la loi antiterroriste auront purgé leur peine au cours des trois prochaines années. Au sein des prisons surpeuplées, leur droit de visite est restreint parce qu’ils ont été condamnés pour terrorisme, et à leur sortie, ils sont exclus des programmes de réinsertion dont peuvent bénéficier les prisonniers de droit commun. L’absence de perspectives socio-professionnelles, pourrait encourager les anciens détenus pour terrorisme, à renouer avec la violence jihadiste, ou à se tourner vers des activités criminelles.

Risques terroristes, avec les 1.700 tunisiens emprisonnés en vertu de la loi antiterroriste, auront purgé leur peine au cours des trois prochaines années

D’autant plus les mesures de contrôle administratif dites « fichiers S » (plusieurs dizaines de milliers concernées voire 100.000 pour certains), pourraient, selon nombre d’experts, pousser à la récidive des jihadistes qui y ont été soumis ou favoriser la « radicalisation » de quelques individus fichés, ce qui, en chiffre absolu, représente une masse de personnes loin d’être négligeable.

Pour éviter le pire, les analyses des processus transitionnels insistent sur la mise en place d’un corps de règles qui doivent guider les comportements, l’action des gouvernants et les rapports entre les institutions et les citoyens. Elles envisagent usuellement la réforme des services de sécurité, comme un des critères permettant de mesurer le passage vers un mode « démocratique » de contrôle du système de sécurité, et du renseignement.

Danger avec les dizaines de milliers de « fichiers S » en libertés de mouvements en Tunisie

L’orientation et l’ampleur de la réforme du système de renseignement et de son contrôle dans le cadre d’un système démocratique. Il y a d’une part l’arrimage fort de l’Etat à un espace commun de sécurité, permettant aux pays qui en sont membres de bénéficier de transferts de moyens et d’alliances. Ce système de sécurité commune comporte le plus souvent un volet d’échange d’informations, de coopération en matière de renseignement. C’est cette variable qui a permis à des pays en transition ne disposant pas de grandes capacités sécuritaires et / ou militaires de compenser leurs faiblesses par la coopération. On peut ici citer le cas de nombreux pays Est-européens qui en intégrant l’OTAN et l’Union Européenne ont pu ainsi résister au poids du contexte géopolitique externe, et stabiliser durablement leurs situations politiques et sociales.

Mais malheureusement au contraire, l’appareil de sécurité intérieure tunisien est globalement dysfonctionnel.​​ Il​ se fragmente, affirme son autonomie vis-à-vis du pouvoir exécutif et législatif, et semble incapable de combattre la montée des violences jihadistes. D’autant plus fait aggravant nos « Forces de Sécurité Intérieurs » (FSI) sont infiltrées par les frères musulmans d’Ennahdha (khwanjias) au pouvoir depuis 2011 et à ce jour, avec leur doctrine criminelle du « Tawtine et Tamkine ». Ainsi sans une stratégie de sécurité globale, incluant une réforme des forces de sécurité intérieure, et un assainissement large au « Karcher », le pays maintiendra une gestion des crises au « coup par coup », au risque de sombrer dans le chaos, ou de renouer avec la dictature, pour rétablir l’ordre.

malheureusement l’appareil de sécurité intérieure est globalement dysfonctionnel, Il​ se fragmente, et affirme son autonomie vis-à-vis du pouvoir exécutif et législatif, et semble incapable de combattre la montée des violences jihadistes

Dans la transition tunisienne, deux axes majeurs devraient constituer l’achèvement du processus de transformation et de consolidation : la réforme du système de sécurité, et la réforme du système judiciaire, sous l’emprise des khwanjias depuis que Bhiri ministre de la justice. Et pour causes je considère que la Tunisie présente encore un risque majeur de Sécurité Nationale, surtout avec au moins les 50.000 terroristes « en hibernation » encore en libertés de mouvements sur le sol tunisien à ce jour. Et qui peuvent passer à l’acte à tout moment, comme « loups solitaires » ou autres.

Je considère donc qu’il faut renforcer l’appareil de sécurité intérieure passe en priorité par la modification des statuts juridiques qui régissent le secteur, la mise en œuvre d’un ambitieux plan de gestion des ressources humaines, ainsi que l’amélioration de la formation initiale et continue. Sans une réforme des FSI armées (militaires, polices, gardes nationales, douanes, pénitenciers et autres), qui permettraient d’appliquer une stratégie de « Sécurité Globale ». La Tunisie  maintiendra une gestion des crises ponctuellement, à mesure que son environnement régional se dégrade, et que ses tensions politiques et sociales augmentent, au risque de sombrer dans le chaos ou de renouer avec la dictature.

 Au final risque majeur de Sécurité Nationale, avec les 50.000 terroristes « en hibernation », encore en libertés de mouvements sur le sol tunisien, avec possibiLITÉs de passage à l’acte

Au finale, la mise en place du « Centre National de Renseignement » au plus vite (après un gel de 4 années), l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, et de prévention de la radicalisation et d’une stratégie de sécurité des frontières, la coopération multilatérale sécuritaire ouverte avec le G7+, sont d’un atout considérable pour un secteur en manque surtout de stabilité au niveau du commandement, mais qui a besoin d’être entouré d’une législation bien claire qui protège et met le citoyen tunisien en sécurité permanente.

 

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  1. Et pour causes … je considère que la Tunisie présente encore un risque majeur de Sécurité Nationale … surtout avec au moins les 50.000 terroristes « en hibernation » … encore en libertés de mouvements sur le sol tunisien à ce jour … Et qui peuvent passer à l’acte à tout moment … comme « loups solitaires » ou autres.

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